Russie – Région de Kalouga
Le loup est un mammifère carnivore dont la sociabilité n’est plus à démontrer, caractérisée par une interaction constante avec les autres individus de son espèce. A l’état sauvage, les loups vivent en groupes familiaux, chaque groupe familial se compose d’un couple adulte, de jeunes nés dans l’année et de jeunes nés l’année précédente qui, pour un temps, continuent à vivre avec leurs parents sur le territoire de ces derniers. La nécessité de communiquer avec leurs pairs est l’une des motivations les plus fortes dans le comportement du loup ; elle joue un rôle crucial dans le comportement et l’écologie de cette espèce.
Au printemps : choix de la tanière
La partie la plus importante de l’habitat d’une famille de loups en est le centre, la parcelle-clé de l’espace familial. C’est le couple reproducteur nouvellement formé qui la choisit, puis qui la transmet à sa descendance de génération en génération pratiquement sans en changer. C’est ici que se trouve la tanière, aménagée par la louve pour donner naissance à ses petits. En règle générale, la louve prépare plusieurs tanières qu’elle creuse elle-même ou des terriers de blaireaux qu’elle aménage à sa convenance. Le choix de construire des tanières ou d’aménager un terrier existant dépend de l’expérience de la louve et des conditions météorologiques particulières du printemps. Au début d’un printemps précoce et chaud, la louve préfère une tanière située sur des pentes ombragées orientées au nord avec des sources d’eau à moins de 50 m.
Lorsque le printemps est froid et se fait attendre, la louve préfèrera une tanière sèche, bien chaude avec une plate-forme au soleil à son entrée. Une femelle plus expérimentée et mature préfère habituellement le confort et choisit son antre en fonction de « paramètres micro-climatiques, » tout en s’appuyant sur son instinct pour assurer la sécurité de la tanière. Une louve jeune et inexpérimentée, au contraire, privilégiera la sécurité et gardera ses louveteaux dans un endroit le plus reculé possible et peu pratique, mais sûr et inaccessible.
Au fur et à mesure où les louveteaux grandissent, leur mère change deux ou trois fois de tanière. Le déménagement se fait alors en emportant dans sa gueule un petit à la fois, parfois sur une distance de plusieurs kilomètres. Plus grands, les louveteaux passent leur journée à l’extérieur, dans les zones isolées d’un bois mort, au bord d’un abattis, dans des décombres de pierres, là où ils peuvent se mettent à l’abri, s’approcher de l’eau, et où les aires de jeux sont au soleil.
Été : Éducation des louveteaux et apprentissage de la chasse
C’est le mâle adulte qui, en premier, se charge d’assurer la nourriture en chassant autour de la tanière, sur les principaux terrains de chasse du groupe familial. Cette partie de la parcelle familiale est un espace vital pour la jeune progéniture et elle est principalement utilisée par le couple reproducteur. Au cours de cette période, la louve contrôle le comportement du mâle qui essaie de toutes sortes de façons de lui plaire, en rapportant à la tanière de quoi la nourrir ainsi que ses petits : de jeunes sangliers, des castors, des lièvres, des chevreuils. La femelle allaitante ne quitte habituellement pas ses louveteaux très longtemps, et ne s’éloigne pas de sa progéniture de plus de quatre kilomètres. Au cours des années pendant lesquelles les rongeurs sont nombreux, la louve chasse souvent des campagnols qui constituent un complément significatif à la ration des louveteaux. À mesure qu’ils grandissent, la louve s’éloigne de plus en plus loin de sa portée, et se met elle aussi finalement à chasser des proies pour ses petits.
Un ou deux jeunes de l’année précédente peuvent participer à la chasse avec le mâle dominant, mais la louve, en règle générale, ne permet pas leur présence près de la tanière jusqu’à ce que les petits deviennent plus forts, c’est à dire jusqu’à la fin du deuxième et du troisième mois de leur vie.
Au printemps et en été, les jeunes de l’année précédente occupent la périphérie de la parcelle familiale, offrant ainsi le maintien de l’intégrité de ses frontières. Au printemps et au début de l’été, les « adolescents » ont vraiment envie de retourner vers la tanière, comme s’ils connaissaient une renaissance, retrouvant de nouveau les stimuli de la nature, qu’ils ont connus l’année précédente, alors qu’ils étaient eux-mêmes des louveteaux en plein développement. Le désir de retourner vers la tanière, vers le couple alpha que sont leurs parents, garantit à biens des égards l’intégrité du groupe familial tout au long de l’année.
Automne et hiver : rassemblement et transmission des savoir-faire
Vers la fin de l’été, l’ensemble de la famille commence à se rassembler. Les derniers-nés atteignent à ce moment environ 5 mois et commencent à se déplacer dans la parcelle familiale, avec les adultes et leurs frères plus agés. C’est l’une des périodes les plus importantes de la vie des jeunes loups. Ils quittent le centre du territoire familial et suivent les adultes d’un lieu de chasse réussie à un l’autre, se familiarisant progressivement avec tous les terrains de chasse du groupe. L’hiver approchant, la famille de loups se réunit en un groupe unique et cohérent. En participant à la chasse avec les adultes et leurs frères ainés, les louveteaux s’initient aux habitudes de chasse de la meute et reçoivent une expérience vitale pour obtenir de la nourriture. À leur tour, les loups adultes expérimentés, chassant avec succès de grands herbivores, fournissent la nourriture nécessaire à la jeune génération dans des conditions difficiles de neige en hiver.
Pendant les déplacements liées à la chasse les loups peuvent parcourir de 12 à 40 km par jour, couvrant par leurs mouvements tout le territoire familial. La surface du territoire occupé par la meute de loups vivant dans une zone forestière varie de 150 à 500 kilomètres carrés, en fonction de la densité de leurs principales proies que sont les ongulés.
Les loups sont bien conscients des espèces d’ongulés vivant sur telle ou telle parcelle de leur territoire, de leurs conditions physiques et ils tentent de chasser uniquement les individus dont la capture est garantie avec un minimum d’effort. Les ongulés en bonne forme physique ne présentent pas de grand intérêt pour les loups, mais les loups surveillent en permanence leurs proies potentielles, et « vérifient » l’état et la vitesse de réaction de leurs proies. Les individus forts et en bonne santé, au moment où ils remarquent la présence du prédateur et développent une vitesse de fuite suffisante, ne sont pas poursuivis par les loups, ces derniers préférant choisir une proie affaiblie et manquant d’assurance.
Et de nouveau, le printemps : nouvelles naissances et séparation
Au printemps, lorsque le couple reproducteur adulte s’éloigne des individus subadultes de la meute et rejoint le centre du territoire familial, et que les jeunes restent à la périphérie, un autre processus social très important se déroule alors dans le groupe de loups. C’est la séparation. Certains loups subadultes, parfois seuls, parfois en petits groupes, quittent le territoire parental et vont à la recherche de nouveaux espaces inoccupés par d’autres familles de loups. La séparation des jeunes loups est un facteur clé dans le maintien de l’intégrité de la population de loups sur une grande superficie. C’est cette séparation des jeunes avec le groupe familial qui permet la diversité génétique des populations de loups à un niveau suffisant pour leur survie afin d’éviter une « dérive génétique ».
Différents facteurs interviennent dans la décision « de quitter la famille ou de rester » : l’environnement social, les relations personnelles au sein du groupe, le sexe des individus. Certains loups restent dans la famille d’origine toute leur vie, mais d’autres s’en vont à l’âge de 2-3 ans. Ce sont d’abord les jeunes louves qui quittent la famille, ne pouvant résister à la concurrence et la pression de la femelle dominante, leur mère. Les candidats suivants au départ sont des individus psychologiquement faibles qui ne sont pas en mesure de maintenir un niveau adéquat de contacts sociaux, ainsi que de petits groupes cohésifs de jeunes loups, ne communicant qu’entre eux et n’ayant presque aucun contact avec les autres membres de la meute. En général, plus la famille est nombreuse, plus il est probable la meute se divise en petits groupes isolés, et rapidement de jeunes loups quittent la famille. Dans la forêt européenne de la Russie, le nombre de loups des groupes familiaux peut atteindre jusqu’à 15-18 individus, mais plus couramment une meute ne dépasse pas 10 à 11 loups.
Pourquoi y-a-t-il de jeunes loups dans une meute ?
Quels sont les avantages que tirent les loups adultes de la présence de loups plus jeunes ?
Parmi les spécialistes, les biologistes et les éthologues, ces questions sont régulièrement abordées, mais jusqu’à présent il n’y a pas de réponse unique.
L’une des fonctions les plus importantes remplies par les jeunes loups est la maintenance qu’ils assurent des frontières extérieures du territoire familial au printemps et en été, alors que les loups adultes prennent soin des louveteaux . Un autre avantage à la présence de loups subadultes est d’aider les adultes lors des chasses collectives, au cours desquelles les jeunes loups agissent en tant que « rabatteurs », jusqu’à ce que la proie soit attrapée par un loup adulte. En outre, pendant la période où les adultes sont occupés par la nouvelle portée, les jeunes loups essaient, la plupart du temps sans succès, de chasser de grosses proies à la périphérie du territoire familial et par leurs actions, provoquent la redistribution spatiale des ongulés. Dans un effort pour échapper à la pression constante des jeunes loups, les ongulés se déplacent de la périphérie vers le centre du territoire des loups, vers les terrains de chasse de prédilection du couple dominant. Ainsi, les jeunes loups, sans le savoir, assurent l’afflux des proies potentielles pour l’alimentation des louveteaux.
Cependant, si on observe la vie d’une meute de loups tout au long d’une année, c’est alors un système complexe qui apparait, régi par de nombreux mécanismes internes, interactions sociales et processus biologiques s’inscrivant parfaitement dans la communauté que représente cette meute. Et la compréhension de toutes ces subtilités et de l’auto-configuration de ce système ne peut manquer de susciter notre admiration !
Texte original du Dr J.A. Hernandez-Blanco et du Dr E. Litvinova de l’Académie des Sciences de Russie