Thylacine et diable de Tasmanie, victimes des européens et des dingos
Le thylacine (Thylacinus cynocephalus) et le diable de Tasmanie (Sarcophilus harrisii) habitaient encore toute l’Australie il y a quelques millénaires. Ils avaient survécu à l’arrivée des humains il y a environ 45.000 à 50.000 ans, contrairement à la mégafaune australienne, étrangement disparue assez rapidement après. Inversement, l’arrivée il y a 4.000 à 5.000 ans du dingo, chien domestique dont certains repartirent vivre libres, leur fut fatal partout sauf en Tasmanie où le dingo ne fut pas introduit. Bien plus récemment, l’arrivée des européens et le peuplement qui s’ensuivit entraînèrent la disparition du thylacine au début du XXème siècle. On ne peut pas passer sous silence le sort des aborigènes de cette île australe, au sud du sud, exterminés volontairement durant le XIXème siècle. L’apparente similitude de leurs destins est assez troublante.
Le plus grand marsupial carnivore australien menacé
Le diable représente aujourd’hui le plus grand des marsupiaux carnivores australiens, même si sa masse d’une dizaine de kilos n’en fait pas un animal de si grande taille. Curieux animal carnassier, pataud dans sa démarche, il est capable de chasser mais il est aussi nécrophage et profite des animaux écrasés le long des routes. Le diable peut vous renifler à des kilomètres grâce à un odorat très puissant. Les cris sont vraiment étranges surtout si on ne le voit pas crier. En revanche, on l’entend à des kilomètres à cause de son cri strident ! Ses effectifs, malgré l’incertitude liée à toute estimation de ce type, ont semblé fluctuer de quelques dizaines de milliers à plus d’une centaine de milliers dans le courant du XXème siècle, sans que les raisons n’en soient parfaitement élucidées.
Inversement, depuis 1996 et la mise en évidence d’un cancer facial appelé DFTD pour « devil facial tumor disease » - la maladie se transmet par allogreffe à l’occasion de morsures entre animaux -, tous les indicateurs sont à la baisse et la population actuelle pourrait n’être déjà que de 10 à 20% de ce qu’elle était avant. Certaines prédictions assez pessimistes prévoient son extinction dans les deux ou trois décennies à venir ; d’autres disent qu’il y en a toujours alors que de précédents modèles prédisaient sa disparition avant 2015.
Localement, une réelle mobilisation a eu lieu, avec la mise en route d’élevages captifs hors des zones touchées (environ 600 individus en plusieurs lieux), l’introduction d’animaux sains sur des îlots au large de la Tasmanie et des recherches plus fondamentales sur la tumeur elle-même, ses voies de transmission et le système immunitaire des diables. Il a fallu aussi admettre que la biologie et l’écologie même de l’espèce étaient en fait encore assez mal connues. On commence à s’y atteler alors que la situation est loin d’être florissante. Tout ceci est complexe, nécessite des moyens conséquents, les tests permettant de décider si un individu est sain ou non ne sont pas parfaits et les recherches médicales ont en partie dérivé vers des applications en cancérologie humaine, certainement intéressantes mais non directement dédiées au diable. De fait, peu d’argent public pour étudier et lutter contre la tumeur.
Pour en savoir plus il existe « Save the Tasmanian devil program » et le site : www.tassiedevil.com.au.
« Le diable est plus intéressant mort que vivant »
Le plus étonnant est peut-être la déclaration d’une ancienne ministre de l’environnement de l’état de Tasmanie qui aurait dit, pour justifier l’absence ou la modestie des fonds publics destinés à lutter contre la maladie à peu près ceci : « Le diable est plus intéressant mort que vivant ». Le fait est que circuler aujourd’hui en Tasmanie donne une curieuse impression en voyant l’usage qui est fait du thylacine, officiellement disparu depuis environ 80 ans. Il est partout, sur des canettes de bière, sur des peintures murales, sur le logo d’une chaîne hôtelière, sur les panneaux touristiques en ville pour signaler les promenades de découverte… Le thylacine est devenu une marque commerciale, une identité tasmanienne connue et reconnue, qui fait peut être faire des bénéfices aux heureux détenteurs, sans aucun des inconvénients liés à l’animal.
Trop tard pour le thylacine, mais pour le diable, il faudrait protéger des espaces pour qu’il vive en paix, il y aurait des contraintes au développement économiques local, on déclarerait des dégâts dans les élevages d’animaux domestiques, les agriculteurs et les chasseurs se plaindraient, les élus locaux les soutiendraient, les associations de protection de la nature monteraient au créneau, etc., etc.
Même combat que pour l’ours et le loup en France ?
Si l’on remplace thylacine et diable par loup et ours, peu importe l’ordre, cela rappelle quand même pas mal ce qui se passe en France et malheureusement ce qui transparaît de plus en plus derrière les discours officiels. « On » n’en veut pas. Le « progrès » est affiché comme contradictoire avec un retour de ces espèces, éliminées ou presque éliminées, après des siècles de campagnes de destruction et qui ont le culot de pointer à nouveau le bout de leur museau. Peu importe les données écologiques, biologiques, économiques, voire sociales, c’est culturel.
Elles doivent disparaître. En France les lieutenants de louveterie ont parfaitement survécu à la disparition du loup. Comme il est de retour, pas question de supprimer ce corps, malgré les structures plus récentes mises sur pied comme l’ONCFS par exemple. Il n’y a pas que les mandats électoraux que l’on cumule en France, ou ce cumul est peut-être à considérer dans un sens très large.
Tout le monde adore le loup dans les contes de Perrault, il est facile d’utiliser l’image de l’ours pour vendre des fromages pyrénéens en région parisienne, mais les animaux loups et ours ne sont pas les bienvenus chez nous, c’est-à-dire chez eux. Il reste une question en suspens. En Tasmanie, puisque nous parlons aussi du thylacine et du diable, il me semble difficile d’isoler leur sort de ce qui est arrivé aux aborigènes. Quelle serait l’analogie la plus pertinente en France ?
Quelques créatures extraordinaires de Tasmanie
Le wombat
Vombatus ursinus peut mesurer jusqu’à 1,30 mètre et peser 40 kilos. Il existe trois espèces : le wombat commun, le wombat à museau poilu du nord et le wombat à museau poilu du sud. Il présente plusieurs particularités : en bas de son dos, il a un os particulièrement dur. S’il est attaqué par un chien ou autre prédateur, il se blottira tête en avant et ne laissera apparaitre que son postérieur. Son prédateur se cassera alors les dents ! Mais il sait aussi prendre la fuite et peut courir jusqu’à 40km/h. Il passe la plupart de ses journées dans un terrier au frais qu’il a creusé et dans lequel il dort jusqu’à 16 heures. En captivité, on le verra souvent sur le dos, les pattes en l’air ! Le soir, il se réveille et part se nourrir d’herbes. Le dingo est un prédateur du wombat. L’homme aussi le chasse parce que, disent-ils, les terriers qu’il creuse et l’herbe qu’il mange nuisent à leurs terres. Il est menacé d’extinction quoique protégé ; cela étant, il est une victime régulière des véhicules et des maladies (gale).
Il peut passer jusqu’à 6h à brouter avant de retourner dans son terrier qu’il retrouve grâce à ses excréments ! D’ailleurs, ses crottes sont ... cubiques ! En novembre 2018 à Atlanta, une équipe internationale conduite par l’Institut technologique de Géorgie, aux États-Unis, a présenté ses travaux sur la forme unique des crottes de wombat, lors du 71e Congrès de la Société américaine de physique. Ce sont les variations d’élasticité des parois intestinales de ces marsupiaux australiens qui permettent la formation des seules crottes cubiques connues du règne animal. « Les humains ne disposent « que de deux méthodes pour fabriquer des cubes – nous les moulons ou nous les découpons – », les boyaux du wombat recèlent ainsi une troisième voie de fabrication qui pourrit inspirer les processus de production. Le wombat utilise ses déjections pour marquer son territoire. Les crottes cubiques résisteraient-elles mieux au vent ??
Le chat marsupial à queue tachetée
Le chat marsupial à queue tachetée (Dasyurus maculatus) encore appelé dasyure tigre ou quoll à queue tachetée est un marsupial carnivore d’Australie, de la même famille que le diable de Tasmanie et le thylacine. Sa fourrure épaisse peut aller du fauve clair au brun ou au noir, avec de petites taches blanches sur tout le corps. Il mesure entre 35 et 75 cm de long, sans compter une queue pouvant atteindre 50 cm. Les femelles sont plus petites et plus légères que les mâles.
Le chat marsupial moucheté a fait son grand retour sur le continent australien en février 2016. Ce petit carnivore avait en effet disparu de l’île continent depuis plus de 50 ans. Les 14 animaux réintroduits sont originaires de Tasmanie où l’espèce a pu survivre à l’état sauvage, principalement grâce à l’absence de prédateurs, comme les renards ou les chats, et du crapaud buffle, une espèce envahissante dont le venin peut s’avérer mortel au chat marsupial qui le consomme. La perte de leur habitat naturel avait également beaucoup participé au déclin de l’espèce, ainsi que la chasse et les dingos. Le problème ne devrait plus se poser puisque le lâcher s’est effectué au cœur du Mulligans Flat Woodland Sanctuary, une réserve naturelle où devrait être restaurée une forêt d’eucalyptus proche de l’écosystème originel de l’Australie.
Cette réintroduction constitue une étape importante pour le professeur Adrian Manning, de l’Université nationale australienne, en charge de l’opération. « Notre but est non seulement de restaurer une population saine et diversifié, mais également d’entreprendre une étude pour définir le meilleur moyen pour importer d’autres espèces afin d’améliorer les chances de futures réintroductions sur le territoire principal australien », a-t-il déclaré au Guardian. Dans ce but, les animaux relâchés ont tous été équipés de colliers GPS afin de pouvoir suivre leur progression. En 2018, 17 chats marsupiaux supplémentaires ont été libérés dans le parc national Booderee, situé au sud-est de l’Australie. Les deux ONG (Aussie Ark et Global Wildlife Conservation) viennent, fin mai, de relâcher à nouveau 20 chats marsupiaux mouchetés. Ils comptent en réintroduire 52 de plus au cours de l’année, cette fois dans le parc national de Barrington Tops.
Le bandicoot rayé
Perameles gunnii, menacé d’extinction, est un petit animal à la fourrure soyeuse, doté de grandes oreilles. Il mesure 25 à 40 cm de long avec une queue d’une dizaine de centimètres. Il pèse environ 1kg : le bandicoot de Tasmanie est d’ailleurs un peu plus gros que son cousin australien. Il a un museau fin, allongé, portant des moustaches. Son pelage, gris brun, porte sur la moitié arrière des bandes pâles qui lui ont donné son nom. Le ventre, les pieds et la queue sont blancs. Il se nourrit de vers de terre qu’il repère avec son odorat développé et déterre avec ses pattes puissantes, d’autres invertébrés, de champignons et de racines. Le mâle occupe un assez grand périmètre, en comparaison de celui des femelles. Animal solitaire, il « fréquente » les femelles en période de reproduction. L’espèce est essentiellement nocturne. Le bandicoot émerge de son nid au crépuscule pour rechercher sa nourriture. Il se sert de son long nez pour fouiller le sol en profondeur et creuse lorsqu’il trouve de la nourriture. Dans l’état de Victoria au sud de l’Australie, on estime qu’il reste une petite population de 150 individus environ. Des efforts de conservation sont mis en place par des associations. La technique consiste à poser des barrières pour protéger ces petits groupes des espèces-prédateurs introduites telles que le renard roux et le chat haret. L’intérêt de ces barrières est également de limiter la prolifération de maladies infectieuses. En Tasmanie, sa population est classée vulnérable par l’UICN, mais il occupe de plus grands territoires, n’étant pas menacé par son prédateur principal qu’est le renard, absent de l’île.
Les monotrèmes : échidnés et ornithorynque
Ce sont des mammifères qui ont des poils, pondent des œufs et qui allaitent ensuite leurs petits. Il n’existe que 5 espèces de monotrèmes au monde : 4 espèces d’échidnés et l’ornithorynque.
L’échidné à bec court (Tachyglosus aculeatus) est doté d’une fourrure plus dense sous ses piquants que ses cousins australiens. D’une longueur de 45cm pour 4,5kg, ses pattes fouisseuses sont à l’avant armées de griffes puissantes faites pour creuser. Il possède une petite bouche, avec une fine mâchoire, sans dents mais pourvue d’une longue langue collante avec laquelle ils attrapent des insectes et arthropodes. Les échidnés habitent l’ensemble de l’Australie (selon la région où on le rencontre il est plus ou moins blond) et en Tasmanie. Lors de la saison des amours, en hiver, ils se déplacent parfois en convoi : une femelle suivie de plusieurs mâles impatients de lui faire la cour ! Quand la mauvaise saison arrive, l’échidnée tombe en léthargie et peut rester sans manger pendant plus de 2 mois. Il peut vivre environ 50 ans.
L’ornithorynque (Ornithorhynchus anatinus) est semi-aquatique : il ressemble à une loutre ayant un bec de canard ! La biologie improbable de cette ancienne créature était tellement inattendue que, lors de sa découverte par les premiers colons, les scientifiques de l’époque ont tous cru à une mauvaise plaisanterie. C’est l’un des rares mammifères venimeux : le mâle porte sur les pattes postérieures un aiguillon qui peut libérer du venin capable de paralyser une jambe humaine ou même de tuer un chien. L’ornithorynque habite les cours d’eau de l’est de l’Australie et de la Tasmanie, et sa présence est un signe de bonne santé des rivières. Un mâle peut ainsi posséder jusqu’à 7 kilomètres (4,4 miles) de berges qu’il partage avec 3 à 4 femelles. Mais pour l’apercevoir, il faudra faire preuve de patience : l’ornithorynque sort principalement à l’aube et au crépuscule, et sa discrétion le pousse à prendre la fuite pour se cacher à la moindre alerte. On les voit d’assez loin et les reflets les rendent un peu difficiles à voir sans jumelles. Il passe en moyenne 1 minute sous l’eau et 10 secondes en surface à trier, mâcher et avaler ce qu’il a récolté sous l’eau. Les ornithorynques de Tasmanie pèseraient jusqu’à 3 kg contre environ 1kg pour ceux (du nord) de l’Australie « continentale » et sont séparés depuis longtemps. On en fera peut-être un jour deux espèces !?