Par Mélanie Toussaint, septembre 2016
Vous êtes-vous déjà posé la question : où vont tous nos déchets ? Comme disait Lavoisier : « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » : cela signifierait-il que les tonnes de déchets générés par notre mode de consommation ne se « perdent » pas ?…alors, ces déchets qui empoisonnent notre environnement et nous avec, que deviennent-ils ?
Cycle de vie de nos déchets
Au commencement était le produit. Lui-même issu de procédés de transformation de matières premières.
Après son acquisition, ce produit est utilisé jusqu’à son abandon du fait de la perte de son utilité technique (défaillance) ou de l’évolution du contexte social (mode, évolution réglementaire, etc.). Il devient alors un déchet. Autrement dit, tout élément qui est abandonné est un déchet.
Ce déchet est, selon les cas, trié, vendu, donné ou collecté, retiré, réparé ou rechargé ou encore transformé. Selon l’ADEME, l’agence nationale de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, 30% environ des déchets ne peuvent être valorisés. Cette fraction forme les « déchets ultimes », qui, après réduction éventuelle de leur toxicité, sont stockés dans des centres spécialisés : centre de stockage des déchets ultimes ou d’enfouissement technique. La quantité de déchets a doublé en 40 ans. En moyenne, 400 kg de déchets ménagers sont produits par personne et par an en France : 29% finissent en incinérateur, 35% en décharge, 21% sont recyclés, 15% sont compostés. Les 2/3 de nos déchets sont donc enfouis ou brûlés !
Les conséquences environnementales des traitements des déchets sont très importantes. Chaque jour, ils génèrent des polluants organiques (dioxines) et des métaux lourds nocifs pour l’homme et l’ensemble des écosystèmes (faune, eau, sols, flore..).
Les effets pervers de l’incinération et de l’enfouissement
Le procédé d’incinération reste un producteur et un diffuseur de substances polluantes dans l’environnement, avec des effets sur la santé humaine. Alors que plus de 2000 molécules sont émises des cheminées d’incinération, la réglementation ne se concentre que sur une vingtaine de polluants tels que dioxines et forantes, 9 métaux lourds, et autres. Certains polluants, dont les effets sur la santé sont mal ou méconnus, sont donc émis dans l’atmosphère en dehors de tout contrôle. De même, l’évolution de la composition de nos biens de consommation - et donc de nos déchets -, introduit de nouvelles substances potentiellement toxiques sur lesquelles ni la science, ni le législateur ne se pencheront avant d’en avoir constaté les effets néfastes, et donc après que le mal aura été fait.
Au-delà des normes en vigueur, des contrôles insuffisants et souvent non inopinés de ces dernières posent problème car des rejets importants se produisent toujours, notamment pendant les nombreuses phases d’arrêt, de redémarrage et de dysfonctionnement des fours pendant lesquelles les systèmes d’épuration et d’analyses peuvent alors être interrompus. Pour certains polluants, comme les dioxines, plusieurs scientifiques insistent sur le fait que ce n’est pas « la dose qui fait le poison », mais la durée de l’exposition. Ainsi, les normes, si strictes du point de vue des fabricants, sont certes nécessaires mais très loin d’être suffisantes.
L’InVS a publié en 2009 les résultats d’une vaste étude épidémiologique en France : autour des usines d’incinération ménagère ayant fonctionné dans les années 1980 et 1990, l’incidence de certains types de cancers dépassent la valeur de référence de 7 à 23%. Pourtant, à cette époque, les industriels laissaient entendre que seule de la « vapeur d’eau » sortait des cheminées, discours encore très largement répandu aujourd’hui. L’InVS insiste également sur le fait que, pour mesurer les effets des incinérateurs fonctionnant aux normes d’aujourd’hui, il faudra attendre la fin d’une période de latence de 5 à 10 ans... Les risques ne sont donc pas écartés, et le renforcement progressif des normes montre qu’il est impossible de garantir l’innocuité d’un processus comme l’incinération, dès lors qu’il implique de multiples réactions chimiques.
De même, les déchets enfouis polluent les sols et les nappes phréatiques, avec les lixiviats, ou « jus de décharges », riches en matières organiques, en micropolluants, en minéraux, en métaux lourds (cadmium, chrome, arsenic, manganèse). Ils dégagent du biogaz, constitué principalement de méthane et de gaz carbonique, deux puissants gaz à effet de serre dont le rejet dans l’atmosphère contribue au réchauffement climatique.
Les lixiviats contiennent également d’autres éléments nocifs pour la santé : acide fluorhydrique, chlorure d’hydrogène, acide sulfurique, etc..
Loin d’être inoffensif pour notre santé, le traitement de nos déchets est donc lourd de conséquences sur notre système immunitaire et nos voies respiratoires, et il génère des cancers dont le nombre reste sous-estimé. Le 21 Juin 2016, une étude publiée par l’agence Santé publique France évaluait à au moins 48.000 le nombre de victimes annuelles des polluants atmosphériques, soit 9% de la mortalité nationale. « Cela correspond à une réduction de l’espérance de vie de 2 ans chez les personnes âgées de 30 ans », précise François Bourdillon, directeur général de la nouvelle agence sanitaire. L’étude concerne plus particulièrement la concentration en particules fines dites « PM2,5 », les plus petites répertoriées. Les effets éventuels des autres polluants, ainsi que les incidences en termes de qualité de vie ou de maladies n’ont pas été pris en compte. Malgré leur ampleur, les résultats annoncés sont donc des ordres de grandeur « a minima ». Il est donc urgentissime de prendre conscience et d’agir sur nos déchets pour notre santé !
Conséquences désastreuses et impacts sur les écosystèmes
Nous ne sommes pas les seules victimes : faune, flore, écosystèmes entiers subissent les conséquences de nos déchets. De nombreuses espèces aquatiques (poissons, tortues, crustacés...), des mammifères marins et des oiseaux meurent d’ingestion de déchets et développent des maladies de type cancéreux. Au moins 1 000 000 d’oiseaux marins, 100 000 phoques, lions de mer, baleines, dauphins et autres mammifères marins meurent à cause de nos déchets chaque année dans le monde.
Le plastique met entre 500 et 1000 ans à se dégrader. Pendant ce temps, les plastiques relâchent des polluants toxiques pour l’ensemble de la chaîne alimentaire : PCB (polychlorobiphényles), POP (polluants organiques persistants), métaux lourds...
La chaîne alimentaire est donc contaminée en profondeur. Il existe plusieurs continents de plastique dans les océans : on estime même qu’il y a 6 fois plus de plastique que de plancton ! Or, le plancton est la base de la chaine alimentaire : il est mangé par des êtres vivants qui se retrouvent dans nos assiettes. Pratiquement, nous mangeons ce que les animaux ont pu recycler de nos déchets !
Selon le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE ), 200 KG DE DÉCHETS ARRIVENT CHAQUE SECONDE DANS NOS OCÉANS.
Coût des déchets ou comment nous faire payer deux fois un produit : à son achat et à sa destruction !
La dépense nationale de gestion des déchets constitue le premier poste en valeur de dépense relative à la protection de l’environnement, soit 16,7 milliards d’euros en 2013. Essentiellement constituée de dépenses courantes, la dépense de gestion des déchets atteint 14,8 milliards d’euros en 2013 et est prise en charge par le service public, par les ménages (via les achats de sacs-poubelle, le nettoyage des rues, les taxes), par les entreprises (pour la part non prise en charge par le service public, appelés déchets des entreprises par convention).
La prévention : OUI !
La prévention de la production des déchets permet non seulement d’éviter les impacts environnementaux liés au traitement des déchets, mais également, dans de nombreux cas, d’éviter les impacts environnementaux en amont du cycle de fabrication des produits : extraction des ressources naturelles, production des biens et services, distribution, utilisation. Ces impacts environnementaux sont souvent plus importants que ceux liés à la gestion des déchets. Avant même d’arriver à son point de vente, un produit a déjà créé plusieurs fois son propre poids en déchets !
Cela fait de la prévention un levier important pour réduire les pressions sur les ressources de nos modes de production et de consommation.
En effet, nos modes de consommation ont énormément changé depuis ces dernières 40 années, un exemple frappant : le développement des ventes à emporter générant des déchets qui n’existaient pas auparavant (vers les années 1990 en France …), tels les plastiques à usage unique, les machines à snack, canettes de sodas et autres sucreries superflues. L’utilisation mondiale des sacs plastiques pour tout, le suremballage, les conditionnements non recyclables…
Pourtant, il n’y pas si longtemps, on utilisait des cabas, des paniers en osiers pour faire le marché, on rapportait à la consigne les bouteilles en verre, on cuisinait les restes, on faisait attention aux « dépenses du ménage » : bref, on consommait plus modérément et on avait conscience d’éviter le gaspillage !
Aujourd’hui, malheureusement, tout est fait pour nous faire consommer, nous tenter, créer un besoin superflu. Trop peu de déchets sont traités et beaucoup le sont en dehors des sentiers des différentes filières de traitement. Il est impossible de maîtriser la dissémination des déchets du fait principalement des négligences humaines, et des vents…
Le recyclage ? A voir …
En France, nous recyclons environ 20% des déchets ménagers, le verre, le papier, le carton, les briques, les bouteilles en plastique, l’aluminium. Seuls 7 % du plastique sont recyclés et le plastique ne peut être recyclé qu’une seule fois contrairement au verre qui peut l’être de façon illimitée (d’où l’intérêt des bonnes vieilles consignes…) !
En matière de recyclage, la France se situe loin derrière l’Allemagne et l’Autriche avec seulement 37 % de déchets ménagers recyclés, un taux qui nous place même en dessous de la moyenne européenne qui est de 40 %. Cette place, peu flatteuse, pourrait en partie s’expliquer par le mode de financement des ordures ménagères. La taxe d’enlèvement des ordures ménagères à la française est en effet un impôt local qui n’a rien à voir avec la quantité de déchets produits puisque la taxe dépend de la surface cadastrale du logement ! Qu’on trie, qu’on achète en vrac ou qu’on jette à tout va, le comportement n’a aucun impact sur la facture, on paie le même montant…
Les pays vertueux en terme de recyclage ont en revanche adopté la redevance incitative, un dispositif selon lequel on paie en fonction de ce que l’on jette. Plus on composte et plus on trie, moins c’est cher. Mais en France, les élus locaux apprécient l’impôt local, la taxe leur est reversée par les services fiscaux, leurs administrés ne leur en tiennent pas rigueur. Avec la redevance, il faut tenir les comptes, les justifier, faire face à des administrés qui découvrent que leurs déchets coûtent cher alors qu’avec l’impôt local, personne ne connaît leurs coûts effectifs.
La taxe représente un tel confort pour les maires que la France risque de rester à la traîne encore un certain temps…
La France est réputée avoir toujours accusé un retard de 10 à 20 ans sur le recyclage, par rapport à sa voisine l’Allemagne ou aux pays d’Europe du Nord, peut-être aussi du fait que la France a fortement développé l’incinération (au détriment du recyclage et du réusage) et parce que les distributeurs n’ont pas été incités à limiter le suremballage qui constitue une part croissante dans les déchets difficiles à recycler (bistres en plastique notamment). A l’inverse, il arrive désormais que le recyclage serve d’alibi puisqu’il permet aux industriels de continuer de produire des emballages, suremballages, vrai business mondialisé avec le marketing pour vendre toujours plus !
A ce propos, et contrairement à une idée reçue, le logo Point Vert arrivé en France en 1999 dans le cadre de la Responsabilité élargie du Producteur, n’est pas un éco label. Il ne garantit pas que l’emballage du produit sur lequel il est apposé est recyclé ou recyclable. Il indique simplement que l’entreprise de diffusion contribue financièrement aux dispositifs de recyclage des emballages. Il est circulaire et représente deux flèches inversées de la même couleur (généralement verte) mais de teintes différentes. Inventé en Allemagne, il est répandu dans une trentaine de pays européens. En France, c’est Eco-emballages qui a l’exclusivité des droits sur le logo. Malheureusement, il ressemble au logo du recyclage et prête donc à confusion..
Produit recyclable : sans mention particulière, le logo indique que le produit est recyclable. Rien ne garantit cependant que le produit soit bien effectivement recyclé. S’il est accompagné d’un pourcentage, il indique que le produit ou l’emballage contient des matières recyclées (le pourcentage en précisant la quantité)
Pour certains plastiques, le recyclage est techniquement impossible : les plastiques alimentaires et médicaux souillés, sacs plastiques, polymères comme le polyuréthane…Nous ne recyclons que les bouteilles et les flacons, et encore, seulement 20% ! On n’arrive pas à recycler un emballage de compote à boire de type « Pom’pote », alors imaginez un téléphone portable ! Les alliages en matières premières sont impossibles à récupérer.
De plus, les 20% de déchets ménagers recyclés le sont après avoir été transportés, en polluant et émettant des gaz à effet de serre. Le recyclage est énergivore : il consomme de l’énergie pour transporter, faire le tri, revaloriser.
Même s’il permet de créer des emplois, le recyclage a donc ses limites sociétales, physiques et techniques. Les produits recyclés finiront en déchets un jour ou l’autre, à brûler ou à enfouir…
Le recyclage doit arriver en fin de chaine, en derniers recours, pour traiter ce que l’on n’a pas pu éviter et permettre l’économie circulaire . Le meilleur déchet est celui qu’on ne produit pas ! Comme ça, pas de recyclage !
Recommandations
Alors avant d’acheter un nouveau jean, un appareil électroménager, un nouveau téléphone, un gadget, posez-vous la question : ce nouvel achat est-il nécessaire ?
N’oubliez pas que ce que vous jetez devra être traité (incinéré, valorisé, recyclé...) et cela va consommer de l’énergie. Certaines substances dangereuses sont complexes à traiter. Certaines matières rares contenues dans nos objets s’épuisent. Evitez donc de renouveler trop souvent les appareils électroniques, même si maintenant l’obsolescence programmée est de rigueur chez les industriels...
Vous pouvez privilégier les produits les moins emballés, éviter les sacs plastiques, les produits à usage unique comme les lingettes, les gobelets et assiettes en plastique.
Sur terre, nos déchets vivent plus ou moins longtemps. En voici quelques exemples : mouchoir en papier : 3 mois ; mégot de cigarette : 1 à 5 ans ; canette en métal : 100 à 500 ans ; sac plastique : 450 ans.
Nous devrions laisser la majorité des réserves d’énergie fossile restantes dans le sol pour espérer contenir le réchauffement climatique. La consommation zéro déchet est nécessaire et dès maintenant.
Pour reprendre la phrase de Béa Johnson, « le zéro déchet n’est pas une mode, c’est une nécessité, un devoir. » Nous habitons tous sur la même planète !
Définition : Les déchets ménagers (DM) sont les déchets collectés dans le cadre du service public
d’élimination des déchets. Ils comprennent la fraction résiduelle des ordures ménagères, les encombrants collectés en porte à porte, les collectes sélectives, les déchets collectés en déchèteries, les refus de tri et de compostage.
Sources : ADEME, unep.org, Famille (presque) Zéro Déchet - Ze Guide – éditions Thierry Souccar, développement-durable.gouv.fr, consoglobe, planetoscope, ecoemballage, septiemecontinent.com, tendua.org.
Et pour ceux qui ont du mal à faire le tri : http://www.domsweb.org/ecolo/dechets.php