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Les chauves-souris en épidémiologie, entre peurs et espoirs, par François Moutou

Qui sont les chauves-souris ?

Sur les 6 399 espèces contemporaines (2018*) connues de mammifères, les rongeurs en représentent environ 50% et les chauves-souris environ 25%. Cela signifie que les 25% restants des espèces de mammifères sont les primates dont les humains, les carnivores, les antilopes, les éléphants, les baleines… Sans oublier que les mammifères ne représentent qu’une infime partie (entre 1% et 5% ?) des espèces animales connues et décrites !

Mégaderme de Malaisie (Megaderma spasma)
©François Moutou
  • Les 1386 espèces actuelles de chauves-souris ou chiroptères sont regroupées en 21 familles et 227 genres (dernière synthèse de 2018).
  • Leurs ancêtres existaient déjà il y a 55 millions d’années. D’après les fossiles étudiés, ils ressemblaient beaucoup aux espèces modernes. Il semble bien que l’écholocalisation, leur sonar embarqué, soit également très ancien.
  • Présentes pratiquement partout : continents, îles et archipels (sauf en Antarctique).
  • Poids : de 2 g à 1,5 kg. Envergure : 15 cm à 1,5 m.
  • Écologie et éthologie très diverses.
  • Une diversité des habitudes alimentaires unique chez des mammifères. Présence d’une fausse tétine dans le creux de l’aine de certaines espèces pour que le jeune puisse s’accrocher sans gêner la mère quand elle part chasser. Une paire de mamelles pectorales.
  • Écholocalisation (sonar) chez de nombreuses espèces.

Écholocalisation ou pas

Grand saccopteryx rayé (Saccopteryx bilineata), Costa Rica
©François Moutou

La majorité des chiroptères se dirigent grâce à l’écholocalisation. Ce sont surtout les microchiroptères insectivores et nocturnes qui utilisent l’écholocalisation. L’écholocalisation demande une dépense énergétique supplémentaire, elle est donc utilisée principalement lors de la chasse ou de déplacements en terrain non connu.
Les chauves-souris ne sont pas aveugles. Leur vision semble bien adaptée aux conditions nocturnes. Cela étant, elles peuvent être éblouies ou perturbées par l’éclairage artificiel extérieur (phénomène de pollution lumineuse).

Epomophore (Epomophorus sp.), Tanzanie
©François Moutou

Les plus grandes chauves-souris (anciennement mégachiroptères), les roussettes, familles des Ptéropodidés, sont généralement frugivores et utilisent leur vue et leur odorat. Elles sont dépourvues d’écholocalisation.

  • Les colonies peuvent compter jusqu’à 1 million d’individus.
    Les colonies sont parfois très importantes et parfois mixtes (plusieurs espèces). Quelles en sont les implications épidémiologiques et immunologiques ?
  • Longévité importante : une chauve-souris de 20g peut vivre plus de 30 ans.
  • Faible reproduction : un seul petit par an, le chauve-souriceau.
  • Ce sont les seuls mammifères réellement capables de voler, pas juste de planer. Certaines espèces effectuent des migrations, d’autres des déplacements importants.
  • Des organisations sociales, intra et inter-espèces, variées.
  • Quelles sont les données immunologiques ? Que savons-nous du système immunitaire des chauves-souris ?

Les chauves-souris sont de plus en plus associées aux Maladies Infectieuses Émergentes (MIE), pourquoi ?

Les chauves-souris (et les rongeurs) sont le réservoir de nombreux virus, mais apparemment elles ne sont pas toujours sensibles aux maladies correspondantes. Qu’en est-il de la transmission entre chauves-souris et à partir des chauves-souris ?

Mêmes si les chauves-souris hébergent des virus, ils peuvent être différents de ceux identifiés chez des mammifères non volants (par exemple SARS, civettes / « SARS-like », chiroptères).

Urodermes bilobés au Costa Rica
©François Moutou

Chauves-Souris & VIRUS, quelques exemples :
o Lyssavirus, rage, Lagos, Duvenhage, EBL1, EBL2, ABL, etc. (ubiquistes)
o Coronavirus, αCoV, βCoV (Chine, Moyen-Orient)
o Filovirus, Ebola, Marburg (Afrique)
o Influenzavirus (Kazakhstan, Guatemala)
o Paramyxoviridae (ubiquistes)
o Rubulavirus, Menangle (Australie)
o Henipavirus, Nipah (Asie), Hendra (Australie)

Quels liens entre leur diversité génétique, leur variabilité écologique, leurs comportements et l’épidémiologie des MIE ?

Si les chauves-souris peuvent vivre en contact avec ces virus, pourraient-elles être utilisées pour comprendre comment rendre de genre de relation inoffensive ? Quelles sont les connaissances sur leur système immunitaire ?

Les chauves-souris possèdent des gènes réparateurs d’ADN liés au puissant métabolisme oxydatif entraîné par le vol battu et que ces mêmes gènes pourraient expliquer leur résistance à tous ces virus.

Les virologues se mobilisent :

  • Augmentation récente des publications traitant des virus de chauves-souris,
  • Recherche du « virome » (totalité de la diversité virale hébergée) de quelques espèces,
  • Séquençage haut débit, nouveaux outils, méta-génomique, nouvelles données,
  • Comment les interpréter correctement ?
  • Sommes-nous en mesure d’anticiper la prochaine zoonose virale ?
    ... En fait, non, pas en l’état actuel des choses. Il faudrait des interdictions sérieuses et respectées concernant, par exemple, le commerce légal et illégal d’animaux et de produits animaux, sauvages et domestiques. Ce ne sont pas les chauves-souris qui sont responsables des zoonoses, mais ce sont les activités humaines : mondialisation, déforestation, poussées démographiques, pauvreté, trafic d’animaux sur des marchés, dérégulation. NOUS SOMMES RESPONSABLES.

Beaucoup d’exemples sont connus récemment, mais la situation n’est pas nouvelle ; c’est déjà arrivé dans le passé avec deux épidémies dues à des Coronavirus en 17 ans en provenance de la Chine, ce qui reste peu au regard du contexte chinois.
La source des épidémies se trouve dans les marchés d’animaux en Chine. Les animaux sauvages et domestiques se côtoient dans des conditions de grande promiscuité, de mauvaises conditions sanitaires, de stress, soit autant de possibilités de multiplication et de transmissions virales entre animaux et des animaux aux hommes. Certains animaux peuvent juste jouer le rôle de relais.

« Ti Molosse » ou Tadaride de La Réunion (Mormopterus francoismoutoui), endémique de La Réunion
©Roland Seitre

Et le point de vue de la chauve-souris dans tout ça ?

  • Les chauves-souris sont protégées dans de nombreux pays, mais pas dans tous. Bat conservation international
  • Le déclin des populations est général et mondial, à cause des insecticides et de la déforestation.
  • Le Syndrome du nez blanc en Amérique du Nord a fait plus de 5 millions de victimes chez les chauves-souris ; le Pseudogymnoascus destructans est un champignon présent en Europe mais dont l’impact y est encore méconnu.
  • 20% des espèces sont considérées comme menacées.
    http://www.eurobats.org/

Ici, un très beau documentaire de Tanguy Stoecklé sur les grands rhinolophes (Rhinolophus ferrumequinum), avec des images extraordinaires, et notamment celle de la naissance d’une chauve-souris : à regarder, à écouter... et à apprécier !

Les chauves-souris intéressent les chiroptérologues, les épidémiologistes, les virologues et les biologistes moléculaires, mais pas seulement.
Les études de co-évolution reliant les virus et les chauves-souris devraient apporter beaucoup de données importantes.
Modèles dans le domaine de l’épistémologie, de la biologie, de la médecine, de la microbiologie, de l’immunologie, de l‘épidémiologie, de la zoologie, de l’évolution.
Le point de vue des chauves-souris ne doit pas être oublié !

Beaucoup de questions et une certitude

La démographie humaine actuelle, la dégradation accélérée des espaces encore peu modifiés et leur remplacement par des agrosystèmes extrêmement simplifiés, des zones urbaines, l’usage massif de la chimie et les pollutions associées, préparent le terrain à des phénomènes de type « catastrophe » avec de moins en moins de possibilités de retour vers un état harmonieux, ou alors seulement en passant par des états transitoires tumultueux et délétères pour une bonne partie du vivant, humain compris.

Le SARS-CoV-2, l’agent du COVID-19, capable de remettre du bleu dans le ciel et de faire baisser la pollution atmosphérique, représente un signal spectaculaire de l’impact des activités humaines sur le vivant quand ces activités cessent. Cette émergence n’est sans doute pas liée directement au changement climatique mais elle doit nous interroger sur la réciproque. Les virus, petits et grands et à leur façon, font partie de la biodiversité.

La probabilité de nouvelle émergence d’un virus ne semble toujours pas calculable à l’heure actuelle, cela reste trop aléatoire. Inversement, le risque qu’une émergence « réussisse », c’est-à-dire entraîne une épidémie, est corrélée à de nombreux paramètres humains et augmente avec la croissance de la population humaine, la densité humaine présente dans de plus en plus de mégalopoles, les pressions non maîtrisées sur les derniers milieux encore peu modifiés, là où se trouve l’essentiel de la biodiversité, microbes compris.
La mondialisation dont le commerce hors de tout contrôle de tant d’espèces animales à travers la planète ne peut que favoriser le passage d’une émergence à une épidémie, avec une fréquence et un succès qui devraient croître si rien ne change.

* : Journal of Mammalogy, 99(1):1–14, 2018

Portfolio

  • Colonie de Glossophages, Costa Rica
  • Colonie de roussettes à tête grise (Pteropus poliocephalus), Adélaïde, Australie
  • Roussette à tête grise (Pteropus poliocephalus) en vol, Adélaïde, Australie

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