DOSSIERS
Biosphère, agriculture et destruction des sols
Qu’est-ce que la biosphère ? La biosphère désigne à la fois un espace vivant et le processus dynamique de la planète Terre, depuis sa création il y environ 4 milliards d’années. Ce processus est évolutif et correspond à l’entretien et à la complexification de la vie sur Terre. La biosphère est formée de 3 milieux qui nous sont familiers à première vue : le sol, l’eau et l’air. Dans un jargon plus scientifique et plus précis donc, ces trois milieux sont la lithosphère, l’hydrosphère et une partie de l’atmosphère. On y ajoute parfois la cryosphère qui regroupe banquises, lacs et rivières gelés, glaciers et autre pergélisol. Ce sont dans ces 3 milieux que se développent les organismes vivants organisés en écosystèmes... dont nous sommes !
L’atmosphère est un milieu minéral [1] composé de gaz, majoritairement d’azote à 78%. Elle protège la vie sur Terre en absorbant le rayonnement solaire ultraviolet, en réchauffant la surface par la rétention de chaleur (effet de serre) et en réduisant les écarts de température entre le jour et la nuit.
L’hydrosphère est également un milieu minéral : les liaisons atomiques qui forment les molécules H2O sont très dures. Cela signifie qu’il faudrait énormément d’énergie pour les casser. De fait, les activités humaines polluent allégrement l’eau sous toutes ses formes mais l’homme n’a pas encore réussi à la détruire…
97 % de l’eau de la planète se trouve dans les océans qui ont une profondeur moyenne de 3 800 m. On sait que, sans eau, la vie telle que nous la connaissons est impossible.
Enfin, le sol, la lithosphère, est un milieu organo-minéral, milieu complexe dont l’équilibre est très fragile car les attaches entre matières organiques [2] et matières minérales (les argiles) qui relient les atomes entre eux sont électriques. Cet équilibre fragile, qui fonctionne très bien tant que l’homme ne s’en mêle pas, est mis à mal depuis que l’homme intervient sur ce milieu.
La destruction de l’environnement
À l’heure actuelle, l’agriculture conventionnelle, ou plutôt productiviste, détruit entre 10 et 12 millions d’ha de terres agricoles chaque année, soit par érosion, soit à cause de l’irrigation qui génère une salinisation des sols ou encore par désertification.
Le désert représentait 11% de la surface des terres quand l’homme moderne a commencé l’agriculture. Aujourd’hui, les déserts représentent environ 33% des terres du globe. Nous avons détruit 1 milliard d’hectares de terres au cours du seul XXe siècle. Et nous continuons de désertifier avec conviction...
De plus, nous détruisons approximativement 17 millions d’ha par an de forêts tropicales et équatoriales pour les convertir en terres agricoles et en vue d’urbanisation.
Le solde annuel est à peu près le suivant : nous détruisons 10 millions d’ha par la désertification et nous « récupérons » 17 millions d’ha par les forêts détruites ;
on obtient donc un solde de +5 à 7 millions d’ha de nouvelles terres cultivables chaque année. En parallèle, la population augmente de quelque 80 millions de personnes tous les ans. Et n’oublions pas qu’un milliard de personnes souffre de la faim ... En clair, la surface agricole par habitant diminue.
C’est là que surenchérissent ceux qui ont détruit les sols et continuent de le faire en empochant de coquettes sommes : représentants de l’industrie chimique et autres marchands d’engrais, de pesticides et d’OGM. Selon ces « spécialistes », la seule issue face à l’augmentation de la population est « plus d’engrais, plus d’OGM », et plus de bénéfices : l’agriculture ne nourrit plus, elle fait des profits.
La destruction des sols
La production de céréales en France n’a pas augmenté depuis 1995 : elle stagne car les sols sont en train de « lâcher »… En Europe, les sols pourraient produire 150 quintaux par an mais ils ne le permettent plus : ils sont à 80 quintaux l’année. Dans les années 80, 90% de l’activité des sols en Europe ont été détruits.
Les 3 étapes de l’érosion des sols sont toujours les mêmes :
1) LA DEGRADATION BIOLOGIQUE des sols par excès d’engrais, de pesticides, d’irrigation, ce qui accélèrent la perte de matière organique dont se nourrit la microfaune des sols. Sans matière organique, la microfaune et la microflore disparaissent.
La France est le deuxième pays consommateur de pesticides au monde après les États-Unis. Notre consommation est quasi-équivalente à celle des États-Unis alors que notre surface cultivable est 10 fois moindre. Cela revient à dire que nous consommons 10 fois plus de pesticides à l’hectare que les États-Unis…
2) LA DEGRADATION CHIMIQUE : une des lois de la nature est la suivante : la pluie fait descendre les éléments (nitrates, phosphates, magnésium, calcium …) dans le sol et la faune les remonte. Quand la faune meure, il n’y a plus de remontée biologique des éléments par les vers de terre (faune anécique). En France, il n’y a plus que 50 kg/ha de vers de terre alors qu’il y en avait précédemment 2 tonnes à l’hectare …
C’est la phase de lixiviation du sol qui s’acidifie. Et c’est la pollution des rivières, des lacs, des nappes phréatiques par les phosphores et autres nitrates… L’acidification correspond à une perte d’éléments comme le calcium : l’humus et l’argile ne peuvent plus s’attacher.
3) LA DEGRADATION PHYSIQUE : la terre s’en va. Le calcium ne peut plus fixer le complexe argilo-chimique. On connaît le scénario en Europe désormais : dès que de fortes pluies s’abattent, toutes les rivières se transforment en eaux boueuses. Nous considérons cela comme « normal » mais il n’en est rien. Si le phénomène est désormais mondial, cela ne reflète en rien sa « normalité », mais plutôt que les sols sont « lessivés » et ne sont plus en mesure de remplir leur rôle car il n’y a plus d’activité biologique.
Impératif économique vs environnemental : réapprendre la terre
Sols malades
Il faut changer le postulat selon lequel fonctionne notre agriculture conventionnelle : le sol est un support inerte, raison pour laquelle on y met des engrais, qui rendent, comme on le sait désormais, les plantes malades et que l’on « soigne » par des pesticides, tout cela afin de produire.
Or, on sait aujourd’hui que 80% de la masse vivante se trouvent dans les sols, faisant ainsi du sol le milieu le plus vivant de la planète. Il abrite plus de 25% des espèces animales et végétales actuellement décrites.
Perte de biodiversité
Au début du XXe siècle, la France cultivait 10 espèces de blés ; aujourd’hui, seules 2 espèces sont encore cultivées : le blé dur et le blé tendre. Toutes les espèces qui ne répondaient pas aux engrais ont été éliminées. L’épeautre est une céréale qui a failli disparaître car il ne répondait pas à l’azote, mais il a été sauvé par l’agriculture biologique. De 3600 variétés de fruits cultivés en France, il en reste moins de 600 !
solutions naturelles
Au lieu de pratiquer aussi assidument cette destruction quasi-systématique de la biodiversité, pourquoi au contraire ne pas sélectionner les plantes les plus rustiques qui ne demandent que peu d’eau, n’ont pas besoin d’engrais et protègent les sols ?
On a recensé quelques 350 000 espèces de plantes. Certaines n’ont pas besoin d’eau et n’ont certainement pas besoin d’être génétiquement modifiées. C’est une autre approche de la génétique moléculaire et de l’étude des sols.
Il existe aujourd’hui des modèles agricoles non subventionnés qui fonctionnent plutôt bien, notamment en Amérique du Sud ou en Nouvelle-Zélande. Ces autres solutions ont un point commun : apprendre à respecter la terre, à observer son fonctionnement – similaire mais différent selon les régions – et à la cultiver sans la détruire. De cette manière, nous préserverons la terre et pourrons assurer les besoins en alimentation. Il s’agit d’appliquer ce que la terre fait si bien toute seule depuis des millénaires. Et de respecter les lois de la biologie du sol.
La nature a un modèle durable : étudions-le !
Les attaches électriques entre matières organiques (humus) et minérales (argiles), fragiles par nature, ont été détruites dans la plupart des sols. On constate alors que les composants du sol partent avec le vent ou l’eau : rivières boueuses, arbres déracinés sous l’action du vent car les racines ne peuvent plus descendre sous terre ...
Le premier précepte à retenir est de ne jamais laisser un sol nu, qu’il s’agisse d’un champ, d’un potager ou d’un jardin. Cela évite l’érosion et le protège de la pluie et du soleil, comme le fait la nature en forêt, ou les adventices adventices dans les champs. D’où l’intérêt d’observer et d’étudier.
Inspiration pour l’Europe : la forêt tempérée
A l’automne, la forêt fait tomber la litière composée de rameaux, de branches mortes des arbres, de feuilles. La litière est dégradée par la faune épigée composées d’arthropodes tels que les collemboles. Ils sont environ 3 à 4 milliards par ha. Seulement 10% des espèces sont connus. Elles vivent dans les premiers centimètres des sols, à l’abri de la lumière directe, jusqu’à environ 20-30 cm de profondeur. Leur travail : attaquer les parties tendres de la litière, comme les feuilles.
On les appelle aussi les « dentellières » du sol car seules les nervures demeurent après leur passage…
Interviennent ensuite les acariens qui attaquent les parties les plus dures, telles que les nervures des feuilles et des bouts de bois. C’est une population très variée de 3 à 4 milliards d’animaux/ha. Puis c’est le tour des cloportes qui mangent le bois, les tiges de colza ou les trognons de maïs et celui des pseudo-scorpions et des araignées.
Plus en profondeur, à 80cm-1m environ, près de la roche-mère, la faune endogée, encore très mal connue, composée d’animaux aveugles, se nourrit des racines mortes des arbres. A l’inverse de la faune épigée, quand la faune endogée est détruite dans un sol, on ne sait pas la reconstituer…
Entre les deux, la faune anécique fabrique le complexe argilo-humique en mélangeant les argiles qui viennent de la roche et l’humus qui vient de la matière organique en surface, dégradée par la faune épigée.
Bref, les vers de terre se nourrissent des excréments des acariens et autres collemboles et font le travail de mélange et d’aération de sols.
Toute cette faune permet la destruction de la litière et prépare l’arrivée des champignons qui transforment la lignine (composant du bois) en humus. Cette faune a produit des « boulettes fécales » qui ont aéré le sol : c’est la « moquette » de la forêt, le moelleux du tapis forestier constitué de ces boulettes et de 80% de vide ! Ce sol forestier a une perméabilité de 150 mm d’eau à l’heure alors qu’un limon labouré, sur lequel est intervenu le travail de l’homme, n’a plus qu’une imperméabilité de 1mm/heure, voire dans certains endroits, 1mm d’eau/24h… Pour info, les forêts équatoriales absorbent 300 000 mm d’eau à l’heure…L’humus se crée donc en surface grâce à l’intervention des champignons.
Les champignons
Au printemps, 1 à 2% de l’humus se minéralisent (par la présence des bactéries) et donnent naissance à du phosphate, du nitrate, du sulfate … qui descendent à travers les couches du sol et sont récupérés par les racines des arbres, des plantes : c’est un système fermé.
L’arbre : le grand gestionnaire de l’eau
L’arbre développe sur le sol forestier les champignons qui retiennent l’eau à la surface du sol et c’est grâce à eux que les sols forestiers sont toujours frais, même en plein été… Il gère aussi bien l’excédent d’eau de pluie dans la nappe phréatique. Les arbres sont capables de développer des racines très profondes : tel un chêne ayant 150 m de profondeur de racines souterraines, un orme avec 110m, un merisier 140m, un jujubier de 2 m de hauteur ayant développé 60m de racines en profondeur…
Les racines de l’arbre attaquent la roche et la dissolvent. A cette profondeur, il y a des feuilles souterraines et des racines qui meurent : elles sont « nettoyées » par la faune endogée. L’arbre remonte les éléments minéraux ainsi obtenus jusque dans son feuillage où se déroule le processus de la photosynthèse. Étant donné le rôle majeur des arbres, premiers consommateurs du CO2 que notre société produit de plus en plus, il est urgent de les protéger.
Peut-on réparer les sols ?
Des spécialistes proposent désormais des solutions pour réparer les sols, tout en se rapprochant du modèle que la nature a développé dans la région concernée. C’est encore faisable pour bien des endroits du monde, mais, comme dans la nature, cela peut prendre du temps… Cette « éco-agriculture » n’est pas un épiphénomène promu par des écologistes farfelus. L’un de ces modèles est la permaculture : travailler enfin avec la nature et non contre elle. Cela suppose une connaissance approfondie des mécanismes naturels, des interactions existantes, de la géologie, de la chimie, de la biologie, de la botanique, du climat… et l’amour et le respect de la terre.
L’agriculture européenne : un modèle économique non viable
Notre agriculture européenne va devoir changer : non qu’elle s’interroge sur son devenir d’un point de vue philosophique, mais les raisons qui l’ont poussées à être ce qu’elle est devenue, sont les raisons pour lesquelles elle va devoir évoluer.
Ainsi, la raison qui a le plus de poids de nos jours est économique, or l’agriculture européenne est subventionnée et les caisses sont vides. A plus d’un titre, le système européen n’est pas compétitif. Qui plus est, il a « tué » le métier puisqu’en 50 ans, en France, 92% des agriculteurs ont disparu. En effet, la France perd entre 30000 et 50000 agriculteurs chaque année ; quant à l’Europe, ce sont 200000 « exploitants agricoles » qui disparaissent tous les ans… Côté production, l’Europe ne se nourrit plus et la France qui était auto-suffisante jusque dans les années 50 ne l’est plus. Aujourd’hui, 40% des blés produits en Europe ne sont pas panifiables : ils ne peuvent pas être utilisés pour la consommation humaine, mais servent à nourrir les cochons ! Sans compter la perte de diversité…
En résumé, l’agriculture que nous connaissons aujourd’hui, pollue et détruit l’environnement pour créer un produit qui n’est pas directement consommable et de qualité insuffisante. Elle coûte cher car elle gaspille beaucoup d’énergie (cf. production hors sol), et elle demande aux contribuables des subventions pour survivre…
Pour autant, le modèle perdure de façon totalement artificielle. Et, en parallèle, le consommateur, vous, moi, devenons de plus en plus exigeants : nous demandons de la qualité.
Quoi d’étonnant quand 99% des tomates et des fraises produites en Europe sont produites hors sol ? La production hors sol est par nature privée de goût, car, si le soleil donne la quantité par la photosynthèse, c’est le sol, le terroir, qui donne la saveur. Sans compter le gaspillage énergétique que cela demande : il faut 36 calories d’énergie pour produire 1 calorie agricole. Nous n’avons pas fini de subventionner des fruits et légumes sans goût, que nous –ceux qui le pourront - achèterons à prix d’or tout au long de l’année...