TENDUA - Association pour la sauvegarde de la biodiversité

Les baleines à bosse, artistes de l’Océan Indien !

Depuis quelques années maintenant, quand s’installe l’hiver austral à la Réunion, chacun se met à guetter les premières baleines à bosse de la saison. Quelques « éclaireuses » annoncent, dès juin ou juillet, l’arrivée des mères gestantes, et des célibataires à la recherche de partenaires. Toutes auront parcouru entre 5000 et 7000 km, depuis les zones de nourrissage de l’Antarctique jusqu’aux eaux tropicales de l’océan indien.
C’est dans ces eaux chaudes que les baleines à bosse mettent bas et se reproduisent...nous disent les scientifiques. Elles naviguent entre la Réunion, Madagascar, Mayotte avant de repartir vers le Pôle Sud se nourrir entre fin septembre et mi-octobre.

Comment reconnaître une baleine à bosse : ses 3 particularités

C’est avec le DODO PALMÉ que TENDUA part à la rencontre de ces géantes dès le début de la saison.

Baleineau à bosse à la Réunion
La baleine à bosse est réputée adulte quand elle atteint la taille de 10-11 mètres vers 4-5 ans ; l’animal est alors mature sexuellement
M. Dupuis

La baleine à bosse (Megaptera novaenglea) appelée aussi mégaptère (qui signifie « grandes ailes ») ou jubarte, voire gibbar en vieux français est l’un des cétacés les plus facilement reconnaissables grâce à trois spécificités :

  • ses nageoires pectorales atteignent 1/3 de la longueur de son corps, soit environ 5m pour 15m. Les femelles sont un peu plus grandes que les mâles et peuvent mesurer entre 16 et 19 mètres (pour 14 à 16m pour un mâle ; les animaux sont un peu plus grands dans le Pacifique que dans l’océan Indien) ;
  • les protubérances sensorielles de son rostre, vestiges des vibrisses du museau de son ancêtre mammifère terrien, le Pakicetus, d’il y a 50 millions d’années. Pour l’anecdote, chaque protubérance renferme ...un seul poil ! Ces « capteurs » permettraient de détecter les qualités de l’eau (température, salinité ?).
  • enfin, les baleines à bosse sont célèbres pour les sauts spectaculaires qu’elles réalisent et que l’on ne se lasse pas d’admirer.

Une Acrobate accomplie !

Saut de Baleine à bosse à la Réunion
Pour sortir son corps hors de l’eau - environ 30 tonnes - la baleine à bosse doit atteindre une vitesse de 15 noeuds !
M. Dupuis

Décrite comme « folâtre et joyeuse » par Herman Melville en 1851, la plus acrobate des baleines effectue des sauts étonnants. Pour propulser hors de l’eau sa trentaine de tonnes, elle doit atteindre la surface à une vitesse de 15 nœuds (environ 30km/h) ! Elle arrive ainsi à faire des vrilles au-dessus de l’eau, mais ce ne sont pas les seules acrobaties dont elle est capable (voir photos ci-après).
Elle dispose de tout un éventail de sauts dont aucun scientifique ne peut à ce jour dire assurément ce qu’ils signifient. Les chercheurs cherchent...
On est à peu près d’accord pour dire que ces comportements spectaculaires occupent vraisemblablement une place essentielle dans leur système de communication. Par le bruit généré, c’est peut-être une façon d’envoyer des messages à l’intention de congénères, même les plus lointains.
S’agit-il de marquage de territoire ? d’un appel ? d’un jeu complexe ? ou tout bonnement d’une démonstration de force ?

Danse de la Baleine à bosse
et 1, et 2 et 3 !
M. Dupuis

La baleine à bosse frappe aussi la surface de ses 2 nageoires pectorales (elle est alors sur le dos) ou bien d’une seule (sur le côté). L’hypothèse de scientifiques australiens est la suivante : les femelles qui souhaitent attirer l’attention des mâles joueraient de la pectorale en surface...
Pour la frappe de caudale, (elle est alors sur le ventre), il s’agirait plutôt, selon certains observateurs, d’un signe d’énervement et d’agressivité : faut-il rappeler que la nageoire caudale fait environ 4 m d’envergure ? L’impact par sa force et son claquement ne passe pas inaperçu...

Spy-hopping
M. Dupuis

En mode « espion » (en anglais c’est du « spyhopping »), elle sort uniquement la tête, un peu comme un périscope ; sa vision s’adaptant aussi bien au monde terrestre et sous-marin. Est-ce par curiosité ? Pour se repérer ? Ou pour mieux entendre ce qu’elle ne voit pas sous l’eau ? Ou les bruits spécifiques de la proximité du rivage ? Pour regarder ses congénères ? On a observé un tout jeune baleineau sortant la tête à plusieurs reprises, juste avant que sa mère ne fasse une vrille complète hors de l’eau à un vingtaine de mètres de lui ! On a également pu observer, à plusieurs reprises, un baleineau répéter par série de 20, puis 12, puis 7 le même « geste » que sa mère venait de lui montrer une ou deux fois... Pédagogie de l’observation et de l’imitation ? ...

Saut de Baleine à bosse à la Réunion
M. Dupuis

Une hypothèse explique que les sauts hors de l’eau contribueraient à se débarrasser des parasites ou bien à se gratter ! Sa tête, sa gorge, sa caudale ou ses pectorales sont parfois colonisées par de petits crustacés qui s’y sont fixés. Ce sont des balanes (chapeaux chinois) qui laissent des cicatrices rondes et blanches sur la peau et des poux de mer (petits crabes) et autres lamproies (petits poissons carnivores à la bouche en ventouse). Une baleine peut avoir jusqu’à 500kg de parasites en arrivant du Pôle ! Les rémoras qui l’accompagnent parfois ont un rôle de déparasiteurs.

Compositeur et interprète

L’acrobatie n’est pas le seul art que maîtrise la baleine à bosse : elle se distingue également par ses chants.
Le mâle est un chanteur émérite : il met au point chaque année un véritable « tube » et se produit avec d’autres mâles. Il chante tête en bas, immobile à 10–20 mètres de profondeur, ou bien il se déplace lentement à 2-3 km/heure. Cette position semble lui permettre d’économiser l’énergie nécessaire à faire passer l’air de ses poumons à son sac laryngé près de ses cordes vocales en des allers-retours mélodieux, et sans émission de bulles. Sans s’arrêter de chanter, il remonte discrètement respirer toutes les 10 à 20 minutes avant de reprendre sa position.

Ces compositions semblent obéir à une partition qui ne laisse pas de place à l’improvisation. Elles sont parmi les plus complexes du règne animal. C’est à la fin des années 50 que les sonars de la marine américaine ont découvert ces « chants », finalement « décryptés » par Payne et Mc Vay en 1971. Les mégaptères sont les seules baleines à posséder un tel répertoire !

Le chant est composé de sons aux résonnances très variables : couinements aigus, airs de trompette plus graves, grincements, sifflements, cliquetis, hurlements, ronflements, rugissements, beuglements... Ces bruits, tous plus étranges les uns que les autres, constituent l’élément de base du chant : ils s’organisent en séquences pour former des phrases qui durent quelques secondes. La répétition des phrases (une dizaine de fois) compose un thème. Le thème est à son tour répété plusieurs fois avant que la baleine n’exécute d’autres sons qui produiront de nouvelles phrases et de nouveaux thèmes. Un chant est composé d’environ 6 thèmes, qui sont répétés dans le même ordre à chaque fois. A la fin du 6e thème, le chanteur reprend sa mélodie au début du 1er thème.

Vocalises du 4 août 2016-La Réunion
Tendua

Ces « mélodies » parcourent des dizaines, voire des centaines ou des milliers de kilomètres ; elles sont produites par des déplacements d’air à l’intérieur des voies respiratoires de l’animal, sans que celui-ci n’ait besoin d’expirer : il n’y a donc pas de bulles, ce qui rend le phénomène presque « surnaturel ».

Pourquoi chantent-ils ?
Les biologistes émettent différentes hypothèses (liste non exhaustive !) :

  • les chants pourraient avoir un rôle majeur de guidage des animaux durant leur migration au milieu d’un océan dépourvu de repères ;
  • autre hypothèse, celle du « lek mating system » : en chantant, les mâles créent des zones potentielles de rassemblement. Afin d’occuper un maximum d’espace et de multiplier les chances de sensibiliser une femelle, ils restent séparés les uns des autres par des distances de plusieurs kilomètres, un peu comme des balises permettant aux animaux reproducteurs de se repérer sur un territoire de plusieurs milliers de kilomètres. La similarité de leur chant indique assez clairement qu’ils ne cherchent pas à se distinguer les uns des autres, la sélection se fera plus tard, lors des affrontements ;
  • les chants seraient l’expression d’un caractère sexuel secondaire, sous commande hormonale, capables de stimuler l’ovulation chez les femelles. Ainsi, les mâles qui escortent une femelle allaitante chanteraient en espérant peut-être l’exciter et stimuler une ovulation, réputée possible rapidement après la naissance. Il n’est pas exclu que la complainte des mâles solitaires ait aussi la même vocation...

Et les femelles dans tout ça ?
Les femelles baleines ne restent pas silencieuses pour autant !

Baleineau à bosse à la Réunion
La face antérieure du corps est munie de 14 à 22 sillons gulaires permettant à la gorge de se distendre lorsqu’elle avale des tonnes d’eau. On voit bien également les longues nageoires pectorales dentelées.
M. Dupuis

On sait aujourd’hui que, outre tous les gestes attentifs et imprégnés de tendresse que l’on peut observer, maman baleine communique également vocalement avec son petit : ses vocalises sont plus aiguës et beaucoup plus courtes que les chants des mâles, comme des indications courtes et claires ! ...et le petit vocalise à son tour : est-il en train de répéter sa leçon...ou de répondre à sa mère ?
Enfin, les baleines à bosse produisent des sons inaudibles à l’oreille humaine (infra-sons), captés par des équipements spéciaux et portant très loin.

Une baleine un peu « yogi » aussi...

Les baleines à bosse savent aussi rester immobiles. On a observé des individus immobiles en surface pendant plus de 45 minutes, mais aussi en position verticale, tête en bas et caudale à l’extérieur, pendant 15 mn. Cette dernière attitude a été constatée notamment chez les femelles en train d’allaiter. Il peut s’agir également de thermo-régulation, la caudale étant irriguée par de nombreux vaisseaux sanguins, cela permettrait de descendre la température globale du corps, ou pourquoi pas ? une position de repos, mais qui n’est pas innée : on a vu des baleineaux s’entrainer mais avec un succès très relatif !
La respiration chez les baleines est volontaire. Leurs apnées avoisinent une trentaine de minutes et d’après nos observations, elles tournent autour de 6-7 minutes en navigation.
On suppose que lors des phases de sommeil, comme pour les dauphins, les deux hémisphères cérébraux se relaient, l’un étant au repos alors que l’autre reste actif. Tout en dormant, la baleine peut naviguer ; elle remonte alors à la surface pour respirer puis elle replonge tout aussi lentement. Une baleine peut répéter environ 6 fois en une journée ces cycles de repos. Chaque cycle de sommeil dure environ 20 à 30 minutes. Les observations scientifiques indiquent qu’une baleine « détendue », au repos, a les bras ballants (=nageoires pectorales vers le fond) et la nageoire caudale inclinée vers le bas. A bon entendeur...

Et grande communicante

Grands dauphins de l’Indo-Pacifique (Tursiops aduncus) à la Réunion
M. Dupuis

La baleine à bosse est plutôt une bonne nature : elle tolère assez bien notre curiosité d’humains et se montre généralement amicale, à condition bien sur de la respecter, et en aucun cas de la poursuivre ou de la harceler ! C’est la raison pour laquelle la charte d’approche des baleines à bosse a été mise au point à la Réunion et qu’il est important d’en suivre les consignes, sinon, « à force de la regarder de trop près...vous finirez par ne plus la voir ! »
Les dauphins de l’Indo-Pacifique viennent parfois autour des baleines. De nombreuses observations ont été rapportées sur des baleines à bosse apparaissant au milieu d’autres cétacés tels que les cachalots, les baleines grises, les baleines bleues.

La Commission Baleinière Internationale et les menaces

Quelque 40 ans après sa création en 1946, et après avoir constaté la quasi-extermination (à 90%) des populations de baleines à bosse, la Commission Baleinière Internationale a mis en place en 1986 un moratoire pour interrompre la chasse commerciale, que 3 pays n’ont toujours pas signé. Ces 3 pays continuent de chasser les baleines : le Japon, l’Islande et la Norvège.
Ce moratoire ne signifie pas un arrêt total de la pêche à la baleine, malgré la disparition constatée de plus de 200 000 baleines à bosse uniquement dans l’hémisphère nord. Dans l’hémisphère sud, Phillip Clapham, un des grands spécialistes mondiaux, estime entre 90 000 et 100 000 le nombre de mégaptères qui y vivaient, avant les années de pêche industrielle. Dans les années 80, il en restait à peine plus de 5 000 ...

Une clause du moratoire prévoyait que « la Commission dresserait “un état des lieux général” des effets de cette décision sur les stocks de baleines et envisagerait la modification de cette disposition ainsi que l’établissement de nouveaux quotas de captures ».
Le comité scientifique de la CBI recense donc actuellement les populations de divers cétacés, dont les populations de baleines à bosse des hémisphères nord et sud.

Baleineau à bosse à la Réunion
M. Dupuis

On annonce régulièrement que les populations de baleine à bosse ont augmenté et ne sont plus en danger de disparition...Faut-il se féliciter de cet « effort » ?? Si certaines populations se portent mieux désormais, est-ce une raison pour autoriser la reprise de la chasse ??
Parmi les menaces qui pèsent sur elles, ce sont les effets de notre consommation effrénée qui remportent la palme : toujours plus d’activités sous-marines pour la recherche de gaz, de pétrole et de minerais, toujours plus de construction et d’urbanisation des littoraux sans compter les effets secondaires de la pêche industrielle et du réchauffement climatique qui font disparaître les proies sont autant de menaces bien tangibles.
Ainsi nous produisons de la pollution physique (filets,...), chimique (produits déversés dans la mer), sonore (trafic maritime, recherche minière, pétrolière off-shore, ..). L’augmentation du trafic maritime pour toujours plus d’échanges de marchandises est responsable de collisions avec les baleines. Nos activités maritimes croissantes perturbent les océans et menacent la vie de leurs habitants.

Notre ignorance reste grande...

La baleine à bosse est plus étudiée probablement que ses cousines, mais il y a encore tellement de questions restées sans réponse les concernant...
Parce qu’elles vivent dans un milieu ouvert, dans un domaine maritime immense, la plupart du temps sous l’eau, les mégaptères restent difficiles à observer et restent très mal connus. Les chercheurs émettent donc davantage d’hypothèses que de certitudes. Les questions sont nombreuses, et chaque réponse amène un nouveau questionnement !
A ce jour par exemple, rien n’explique comment les baleines apprennent à chanter : par imitation ? Par transmission culturelle des « notes » ? Comment et pourquoi elles font évoluer leurs chants ?
Les mâles semblent ne chanter que dans deux circonstances différentes : quand ils sont seuls, et quand ils accompagnent une femelle allaitante. Les chants sont identiques, mais ont-ils le même objectif ?
Tous les mâles sont-ils capables de chanter ? Est-ce un privilège réservé à certains chargés d’une mission particulière au sein du groupe ? Est-ce qu’il y a des zones géographiques spécifiques pour chanter, comme pourraient le laisser supposer quelques observations ? Qu’est-ce qui déclenche le début d’un chant ? Et sa fin ?...
Au-delà du chant, quel est le « vocabulaire » des baleines à bosse ? Ce « vocabulaire » es-il commun à toutes les populations ou bien plutôt « régional » ? Une « bibliothèque de sons » émis par les mégaptères de l’Océan Indien est en cours de constitution...

Observer et nager avec les baleines à bosse est une chance extraordinaire.
Elles sont des ambassadrices exceptionnelles du monde sous-marin, alors apprenons à respecter leur environnement, nos océans, nos mers, nos rivières, nos montagnes, nos campagnes et nos villes par nos gestes quotidiens ! Merci pour elles...et pour nous tous !

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